Journal d'un tueur

22 Juillet 2003 - Alma, Texas

Tac Tac Tchac Tac Tac.
C'est le bruit de la machine à écrire qui résonne dans la pièce, ouep ils avaient pas d'ordinateur la-bas à l'époque c'était une petite ville de bouseux.

Inspecteur Wilmore - Vous vous nommez Bill Myers, c'est bien ca ?

J’hésite même pas, je réponds, tout content.

Bill Myers - Ouep mon bon monsieur !

Il me regarde, par dessus ses p’tites lunettes rondes, il a vraiment l'air d'un con avec ca.

Inspecteur Wilmore - Vous avez vingt-trois ans, né à Chicago, n’est-ce pas ?

Bill Myers - Tout juste mon p’tit pote.

Tchac Tac Tac.
Ce petit bruit quand il tape sur la machine, c’est presque hypnotisant.

Inspecteur Wilmore - Vous avez été arrêté hier soir, derrière le bar "Makumba" à six heure trente-sept, pour le délit d’injure sur agent de la paix, et participation à une bagarre.

Bill Myers - Six heure trente-sept sérieux ? J'aurais parié qu'il était trente-deux ...

Même pas un petit rire, vraiment concentré le mec.

Inspecteur Wilmore - Vous avez ensuite affirmé, pendant qu’on lisait vos droits, que vous nous, je cite, "boufferez les joues comme la délicieuse Candice". Laquelle est, à ce jour, à la morgue aux étages inférieurs. Si c’est bien d’elle que nous parlons.

Instant d’hésitation. Je crois que je devrais le mettre à l’aise ce p’tit flic.

Bill Myers - Ouais ouais, t’en fais pas, y a pas eu d’autres Candice.

Stupeur, et excitation se lisent sur son visage. Il me regarde comme si j’étais l’objet rare de sa collection. Il doit être ravi d’avoir enfin chopé "le moissonneur".
Il se racle la gorge, comme pour faire croire que c’est la routine. Alors que je suis l’apothéose, la pépite d’or, le Saint-Graal de sa carrière.

Inspecteur Wilmore - Je ne pense pas que ça soit vrai.

La technique parfaite du petit comportementaliste. Me rabaisser pour me faire sortir de mes gonds. Mais je suis pas fou. Je vais pas jouer à chat avec toi p’tit pote.

Bill Myers - Je ne pense pas non plus.

Inspecteur Wilmore - Vous n’êtes pas la personne que nous recherchons. Pas assez futé à mon avis.

Ajoutez à cette phrase le petit sourire en coin presque taquin visible a des kilométres.

Bill Myers - J’pense toujours comme vous mon gars. Pas fut'fut le p’tit Bill. Ça non.

J’ai souri comme un redneck. Il a eu un tressaillement du coin de lèvre. Il savait que je me foutais de sa gueule. Il savait que je savais qu’il mentait. Mais qu’ai-je à perdre ? Menotté, même des pieds mon gars, je suis fini. J’ai eu une belle carrière, magnifique même. Quel spectacle, jusqu'au bout.

Inspecteur Wilmore - Monsieur Myers, il est de notoriété publique que le moissonneur découpe les tatouages de ses victimes. Pourquoi faire, je ne le sais toujours pas, mais une chose est sûre, celui de Candice est intact.

Bill Myers - Patchwork.

Inspecteur Wilmore - Pardon ?

Bill Myers - Patchwork petit gars. C’est un assemblage de ...

Inspecteur Wilmore - Je sais ce qu’est le patchwork, merci. Donc Candice n’a…

Bill Myers - Pas de tatouage. Tu vas me faire parler en me faisant croire le contraire de ce que tu sais. Mais je vais te faciliter les choses, à ton âge, j’vais éviter de te fatiguer. Candice n’a pas de tatouage. Et je sais aussi qu’elle n’a pas de foie. Vos petits docteurs vous le diront.

Tac Tac Tchac.
Il ne sait plus quoi penser le vieux. Il se trémousse légèrement sur sa chaise. Me regarde comme si j’étais cinglé.

Inspecteur Wilmore - Donc, je dois penser que c’est votre victime... Et les autres ? Les vingt autres ?

Bill Myers - Si elles ont leur bide aussi vide que mon trou d’cul, c’est mon œuvre ouais.

Inspecteur Wilmore - Votre oeuvre ? Une œuvre, cette boucherie sans nom ?

Bill Myers - Vous l’appelleriez comme ça vous ? Nan, nan, nan... C’est pas joli. Ça met pas en valeur le temps que j’ai mis sur chacune d’elle. Ça déshonore totalement les recettes de chef que j’ai élaborées mon ami. Nan.

Je lui flanquerais bien mon poing dans la gueule si je n’étais pas menotté. Il doit le savoir, car il a un petit rictus de satisfaction. Enfoiré.

Inspecteur Wilmore - Recette... Vous voulez dire que vous "cuisiniez" vos victimes ?

Bill Myers - Pas que. Mon grand. Pas que. Je les bouffais aussi.

Puis un blanc pendant plusieurs secondes, il est un peu long à écrire.

Inspecteur Wilmore - Nous avons trouvé chaque victime à des endroits étranges, devant une école, devant une poste, dans des poubelles. Et j’en passe. Pourquoi ?

Bill Myers - Bah ça par contre, j’en sais foutre rien. Si on te le demande, tu diras que tu l’sais pas.

Il est outré l’vieux. J’ai envie de rire. Mais je peux décemment pas. Le pauvre.

Bill Myers - Elles ont pas trop souffert, t’en fais pas. Un coup de batte et ça tombe comme des mouches ces gamines. Les nanas d’aujourd’hui ça a plus la force d’antan. On peut rien leur demander. Même le chemin. Tout ce qu’elles répondent c’est "je ne sais pas, demandez au policier là-bas", alors qu’il n’y avait jamais de flic là-bas. Ces stupides connes me prenaient pour un stupide con. Alors je leur donnais la chance de savoir au moins un truc dans leur vie. Qu’il fallait pas prendre Bill pour un con, mec.

Inspecteur Wilmore - Et pourquoi les tatouages ?

Bill Myers - Le truc d’un génie comme moi, c’est la collection. Tu collectionnes les prisonniers, je collectionne les recettes. Et les tatouages. J’ai une belle couverture chez moi. Tu vas aimer.

Inspecteur Wilmore - Que trouverons-nous d’autre chez vous ?

J’ai hésité un moment avant de répondre. Il trouvera tellement de supers trucs chez moi. D’ailleurs, ça me manquera tout ça. Puis je lui ai quand même dit un truc.

Bill Myers - Depuis combien de temps t’as pas vu ta fille mon pote ?

Et j’ai éclaté de rire. C'est peut-être ce qui m'a fait passer tout ce temps en taule. Ca ou toute mon oeuvre ... Ouep Candice c'était la dernière, sans grande surprise ils m'ont enfermé à vie et plus qu'ils disaient. Mais j'ai fait en sorte qu'ils me laissent sortir pour des activités extra-pénitentiaires. Les matons préfèrent que je sois loin d'eux, les autres détenus aussi et les psy pensent que je dois me défouler. Alors FGM j'arrive.